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  • Writer's pictureThéo Valet

Perception altérée

La rue est bruyante ce soir. Les pas des riverains résonnent contre les pavés. Leurs discussions reviennent aux oreilles de l'enfant, assourdissantes. Il n'aime pas la ville et ses bruits. Même les odeurs sont toujours gâchées par quelque chose. Il était en train d'apprécier le parfum enivrant du pain chaud qui s'échappait d'une boulangerie quand un camion passa avec son relent de pot d'échappement. Un goût âcre lui saisit presque instantanément la bouche.

Il voulait seulement rentrer chez lui et apprécier le confort de sa maison. Son père l'a forcé à sortir pour se changer les idées mais il déteste ça. Depuis l'accident tout est différent. Le monde est devenu différent à ses yeux. Sa perception n'est plus la même. Son père le sort de ses pensées.

- Qu'est-ce que tu aimerais manger ce soir Matt ?

Le garçon tourne la tête dans sa direction.

- Je ne sais pas papa, comme tu veux.

Ils arrivent tout deux devant un restaurant asiatique. Les effluves sont reconnaissables entre mille. Il sent le mélange de nourriture cuite au wok, l'odeur de la sauce soja et du lait de coco.

- J'ai bien envie de manger asiatique ce soir personnellement, ça te va ?

Matt acquiesce en haussant les épaules.

Ils entrent dans le bâtiment et une voix avec un fort accent chinois les accueille.

- Bonjour, bienvenue chez Wang. Je peux vous servir ?

Il se débrouille très bien malgré son accent.

- Alors j'aimerais commander…

Le père marque un temps d'arrêt en regardant ce qu'il va choisir.

- Deux potages aux légumes, deux poulets caramels au sésame et des brochettes de bœuf à la citronnelle. Tout ça à emporter s'il vous plaît. Ça te va fiston ?

- Oui oui, c'est très bien.

Une fois servis, ils sortent de la boutique et se dirigent vers leur petit appartement situé à Hell Kitchen, un quartier mal famé depuis toujours. Les petites frappes sévissent en rackettant et en battant les malheureux qui croisent leur route. Et si vous vous demandez ce que fait la police, et bien elle ne fait pas grand chose. Un quart des effectifs est véreux et le reste est trop occupé face à la montée en puissance des barons de la drogue. Dans tous les cas, Matt et son père n'ont pas les moyens de déménager pour trouver mieux.

Sur le chemin de la maison, ils croisent un groupe de jeunes. L'un d'eux les interpelle.

- Eh m'sieur, vous auriez pas un peu de monnaie par hasard ? J'aimerais aller m'acheter un truc à manger.

Il sent la sueur et la fumée de cigarette. Mais une autre odeur dérange Matt quand il s'approche. Son père reste calme et lui répond poliment.

- Euh oui, je dois avoir ça attendez.

Matt entend son père sortir de sa poche son portefeuille et chercher un billet.

- Tenez, ça devrait suffire.

Le jeune ricane un coup avant de s'approcher d'avantage pour prendre le billet.

- Eh mais je vois que vous n'êtes pas à plaindre vu l'épaisseur de votre portefeuille.

Son père eut un petit rire gêné. Il laisse sa main retomber vers sa poche pour ranger le reste de son argent.

Matt reconnu enfin l'odeur qu'il avait senti. C'était l'odeur de la poudre. Il comprit directement que le jeune homme devant eux avait une arme à feu sur lui.

- Finalement je vais peut être vous demander de me donner tout votre argent.

Ses amis, restés en retrait durant le début de l'échange, s'approchent maintenant en formant un entonnoir devant Matt et son père. Deux d'entre eux sortent des couteaux papillons de leur poche et les font tournoyer.

- Ok mon gars, je te donne mon argent. Ne nous fait pas de mal, j'ai un enfant avec moi.

- Ferme ta gueule et donne le fric.

La voix venait d'un des autres jeunes du groupe. Les autres se mettent à rigoler.

Le cœur de Matt se met à battre plus fort, celui de son père aussi. Il le sent. Son père sort le reste de billet qu'il avait en sa possession et les lui donne tous.

-Oh merci, c'est trop aimable.

Le jeune rigole encore et lui arrache la liasse des mains. Le bruit des billets froissés donne un frisson à Matt.

- Aller maintenant tire-toi de là avec ton mioche et ses lunettes de soleil. Vous faites pitié.

Le père déglutit bruyamment et met la main sur l'épaule du garçon.

- Aller viens mon fils, on rentre.

Ils reprennent leur route tandis que les jeunes continuent à rigoler dans leur dos.

Une fois arrivés à la maison, son père s'assoit sur une chaise et se met à pleurer doucement. On n'entend rien d'autre que le bruit des larmes qui s'écrasent sur le plancher. Après quelques secondes, il se redresse et se tourne vers son fils.

- Viens-là fiston. Tu vas bien ?

Matt se tourne vers lui et répond gentiment.

- Oui papa, ne t'inquiète pas.

- Ecoute, je ne veux pas que tu aies à vivre ça toute ta vie. Ce quartier ne mérite pas un jeune garçon aussi gentil que toi.

Le père sanglote entre chaque phrase mais il poursuit.

- Je sais que tu n'est encore qu'un enfant mais plus tard tu devras partir quand tu le pourras. Au moins tu pourras vivre ta vie convenablement, fonder une famille et être heureux.

Le garçon écoute son père attentivement, n'osant pas l'interrompre.

- Je sais que je ne suis pas le meilleur père et j'aimerais que ta mère soit là pour m'aider mais la vie est faite comme ça. Dans tous les cas ne devient pas un raté comme moi. Tu as le potentiel pour être ce que tu veux, ne le gâche pas.

- D'accord papa, j'essayerai de te rendre fier.

- Tu es un bon garçon. Approche.

Matt s'avance et il le prend dans ses bras. L'étreinte est agréable. Elle dure plusieurs minutes avant que son père le lâche.

- Aller, je vais faire réchauffer la nourriture et on va se régaler ce soir. Va te laver les mains, ça sera prêt dans quelques minutes.

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